image : Arya_C

22 Avril 1992, Boston. Micah a 4 ans.

Le temps était gris, presque pluvieux. Il faisait froid, l’air était humide et un petit vent venait lui chatouiller les joues. Ses yeux d’un bleu azur étaient fixés sur cette grosse boite en bois, située à quelques mètres seulement devant elle. Micah attrapa la main de son père et la serra de ses petits doigts. La lèvre tremblante, les yeux larmoyants, elle ne pouvait tout bonnement pas lâcher ce cercueil du regard. Ce cercueil –mot qu’elle avait d’ailleurs du mal à prononcer- contenait sa mère. Sa chère et tendre petite maman. C’était tellement injuste. Vraiment injuste. Mais Mickaëla était bien trop jeune encore pour s’en rendre compte. A vrai dire, elle ne comprenait pas tout à fait ce qu’il se passait. Depuis presque une semaine maintenant, elle était seule avec son père… Mais ce dernier n’était pas d’une très bonne compagnie et refusait presque tout contact avec elle. « Dis papa, elle va revenir quand maman ? » Micah leva les yeux vers son père. Grand, musclé, habillé d’un costard dernier cri, il ne répondit pas, fixant l’horizon. C’était comme s’il n’avait pas entendu son enfant parler. Il ne cilla même pas quand un de ses amis vint le serrer dans ses bras, lui disant qu’il devait être fort. Tournant son visage de l’autre côté, Micah aperçu Renée, la meilleure amie de sa main. Tendrement, elle lâcha les doigts de son père et faufila sa petite main à l’intérieur de celle de la jeune-femme. « Dis Renée, elle va revenir quand maman ? » Silence. Micah fronçait les sourcils. Pourquoi est-ce que personne ne lui répondait ? On avait expliqué à l’enfant âgée de 4 ans que sa maman avait eu un gros accident de voiture. Qu’elle était désormais montée au ciel. Mais tout ceci restait encore si flou dans son esprit… Le ciel, ce n’était pourtant pas si loin ? Pourquoi sa mère mettait t-elle tant de temps à revenir ? « Ma chérie, je… » Renée s’était accroupie face à elle. D’un geste tendre, elle replaça une petite mèche blonde de l’enfant derrière son oreille et afficha une moue dubitative. « Micah, maman ne reviendra pas… mais… » Ecarquillant les yeux, la petite fille la regarda. Sa lèvre se mit à trembler plus rapidement alors que des larmes commençaient à tomber sur ses joues pâles. Renée se tut un instant, avalant avec difficulté sa salive. Le cœur battant, les yeux brillants de larmes, elle reprit la parole. « Mais, elle sera toujours avec toi… Elle te regarde de là haut, et elle est si fière de toi… Tu es une petite fille très forte, tu sais ? » Elle se voulait douce et rassurante mais déjà, Micah n’écoutait plus. Une nouvelle larme roula le long de sa joue alors que la grosse boite en bois tombait dans un trou.


18 Novembre 1995, Boston. Micah a 7 ans.

« Je t’avais pourtant dit d’aller te coucher ! » La main de monsieur Beckinson claqua sur sa joue, y laissant une marque rouge. Micah ne broncha pas, habituée… Une baffe, après tout, ce n’était rien. « Mais papa… » Tenta-t-elle en se recroquevillant sur le canapé. « Il n’y a pas de ‘mais’ qui tienne ! Depuis quand tu discute mes ordres ? » Là, ce ne fut pas une main qu’elle vit arriver mais une chaussure noire pleine de terre. Ses lunettes volèrent alors qu’elle tenta de se protéger. Mais les coups fusèrent. D’habitude, elle parvenait à se contrôler, à éviter le visage et les avants bras… C’était trop voyant. Le ventre, le dos, les fesses, c’était beaucoup plus discret. Mais vu l’odeur d’alcool qui provenait de sa bouche, monsieur Beckinson ne parvint pas ce soir là à contrôler ses gestes et ce fut le nez sanglants, des bleus sur les joues et les larmes dégoulinantes que Micah alla se coucher. Ne plus jamais lui désobéir… ce fut la résolution qu’elle prit ce soir là.
Tout avait commencé quelques mois après la mort de sa mère. D’abord, son père l’avait ignoré. Il se contentait de faire à manger et de l’emmener à l’école. Plus de câlins, plus de bisous… la petite fille l’entendait pleurer le soir dans sa chambre. Elle comprenait. A elle aussi, maman lui manquait… Et puis au fur et à mesure, il commença à oublier de venir la chercher à l’école, préférant aller boire quelques verres dans un bar mal famé. Puis les coups commencèrent. Quelques claques et quelques fessées, jusqu’à ce qu’il utilise des objets : chaussures, bouteilles… Tout et n’importe quoi qu’il avait sous la main faisait l’affaire. Jusqu’à ce soir là, où il eu du mal à s’arrêter, laissant sur le visage de l’enfant les marques de sa violence… Chose qui n’échappa pas à la maitresse le lendemain. Ayant déjà des soupçons, elle n’hésita pas à faire un signalement et rapidement, l’enfant pu sortir de cet enfer.



3 Mars 2004, Philadelphie. Micah a 15 ans.

La voiture s’arrêta devant une grande maison. Entourée de parterres de fleurs, tout cela semblait coloré. Trop coloré. « Voilà Mickaëla, nous sommes arrivés. Voici ta nouvelle maison. » La blondinette ne répondit pas. Le regard fixé sur la demeure, elle n’osait pas déboucler sa ceinture et sortir. Peur de l’inconnu. Surtout qu’on l’avait prévenu : sa nouvelle famille était déjà composée de huits enfants : cinq filles et trois garçons. Une famille nombreuse à laquelle elle venait s’ajouter. Elle, l’adolescente rebelle, renfermée sur elle-même. Après huit ans passés dans un centre d’accueil, ballotée entre plusieurs familles, on lui avait affirmé que celle-ci serait la bonne. Que les Megans avaient déjà adopté plusieurs enfants et que c’était des gens merveilleux. Au loin, elle vit la porte verte de la maison s’ouvrir et Madame Megans apparue, portant dans les bras un petit garçon d’un an à peu près. Un sourire étira ses lèvres et elle fit un signe de la main. « Allez viens Mickaëla, allons-y. » L’homme ouvrit la portière et sorti de la voiture. « S’il vous plaît, appelez moi Micah par contre… » Demanda-elle en le suivant sur la petite allée. « D’accord, mais tutoie-moi. T’inquiète, je ne vais pas t’obliger à m’appeler Papa. » Il sourit et lui adressa un petit clin d’œil. Ils entrèrent et pour la première fois depuis longtemps, Micah se sentie chez elle.


8 juin 20011, Philadelphie. Micah a 22 ans.


La musique débuta et Micah ferma les yeux. Seule dans la salle, elle commença à danser, se laissant totalement emportée par la mélodie. Elle se sentait bien, elle se sentait vivante. La musique s’accéléra et ses pas suivirent. Les yeux toujours fermés, elle était à présent dans sa bulle et rien ni personne ne pouvait venir la déranger… a moins que… Soudainement, elle sursauta en sentant deux mains se poser sur ses hanches. Ses yeux se rouvrirent automatiquement et un cri s’échappa d’entre ses lèvres. La jeune femme se dégagea de l’emprise et se retourna. « Nan mais t’es pas bien toi ! Tu m'as foutu les j'tons » Ses yeux lançaient des éclairs, alors qu’elle toisait le jeune homme qui lui faisait face. « Oh Micah, fais pas ta rabat-joie… T’étais tellement belle que j’avais envie de danser avec toi. » Elle soupira et se recula encore de lui. « Tu me gonfle Shane, je t’ai dit d’aller voir ailleurs, faut que j’parle en chinois pour que tu comprennes ? » Elle s’avança rapidement jusqu’à la petite chaine hifi et stoppa la musique, énervée. Mais l’homme ne se laissa pas faire ainsi et se rapprocha d’elle une nouvelle fois, allant jusqu’à la plaquer au mur. « Micah, mon amour, s’il te plaît… Tu me manques… » Serrant la mâchoire, elle sentait la rage monter en elle.[color=crimson « Vas-te faire foutre. Je t’ai dit que nous deux c’était fini. Rentre toi ça dans la tête. »[/color] Posant ses mains sur le torse du jeune homme, elle le repoussa fermement et attrapa son sac. « Micah… » Murmura-t-il en posant sa main sur son poignet. Elle secoua la tête, se dégagea une nouvelle fois de son emprise et quitta la salle.

L’air était frais. Gris. Elle s’adossa contre un mur soudainement prise d’un violent mal de tête. Elle souffla, alors que les larmes lui montaient aux yeux. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait mal ainsi après s’être énervée et cela commençait à l’inquiéter. Elle rouvrit les yeux et gémit : pourquoi sa vision était-elle trouble ? « Micah ? Ca va ? » « Vas-t-en Shane, s’il te plaît. » murmura-t-elle en se laissant glisser jusqu’au sol. Elle ne supportait plus les hommes. C'était tous des salaud finis selon elle. Elle soupira puis souffla… Ca allait passer, suffisait juste d’un peu de temps. Le jeune homme fronça les sourcils en la voyant ainsi. Ils se connaissaient depuis quelques années, et même si il avait fait le con avec elle, il ne pouvait supporter de la voir si mal. « Micah, dis moi ce qui ne va pas. »… Il s’était accroupi devant elle et posa sa main sur sa joue. « Je… » Elle venait d’ouvrir une nouvelle fois les paupières et percevait difficilement le visage de son ex petit-ami. Elle ne voyait finalement qu’une masse informe. « J’ai du mal à voir… C’est devenu tout trouble tout d’un coup et… J’ai mal à la tête… Ce n’est pas la première fois que ça me fait ça. » Le beau brun passa ses doigts devant ses yeux, faisant quelques gestes pour la faire réagir. Ses pupilles s’étaient dilatées mais elle ne semblait pas comprendre ce qu’il se passait. « Je t’emmène à l’hosto. » « Non, ramène-moi chez moi, s’il te plaît. » « Fais pas la conne, je t’ai dit que j’t’emmenais à l’hosto. » Il la fit se relever et l’accompagna jusqu’à sa voiture.

« Mademoiselle Beckinson… J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer… » Il était deux heures du matin. Cela faisait plus de cinq heures que Micah était à l’hôpital et elle avait totalement retrouvé ses factultés visuelles et son mal de tête avait disparu sans qu’aucun traitement ne soit mis en place. C’était parti comme s’était arrivé. « Le Scanner cérébral que nous vous avons fait faire n’est pas… très bon. Il montre une masse d’une taille assez importante qui comprime de temps à autre une partie de votre cerveau. » Elle fronça les sourcils, restant silencieuse. Dans sa poitrine, son cœur s’était mis à battre la chamade. « Vous avez une tumeur… Mais elle est opérable. Nous pouvons vous transferer dès ce soir dans un service de neurochirurgie et vous pouvez être opérée cette semaine. » Nouveau silence. Elle ne réagissait pas, puis finalement, secoua la tête. « Non, je veux pas. Je vais parfaitement bien. Je vais rentrer chez moi, okay ? » Elle se leva de la table d’examen et attrapa son sac. « Melle Beckinson, s’il vous plaît, réfléchissez-y. » « C’est tout réfléchi docteur, je ne veux pas me faire opérer. » elle sorti de la salle et retrouva Shane, assis devant. Il se leva, passa son bras autour de ses épaules et ils prirent ensemble, la direction de la sortie.


Aujourd’hui, Sutton Bay. Micah a 23 ans.

« Alors poupée, tu termine à quelle heure ? » Un sourire peu sincère s’afficha sur le visage angélique de Micah. Elle ne répondit pas, attrapant la bouteille de bière vide sur la table, la posa sur son petit plateau et passa un coup de lavette. Tournant les talons, elle ne réagit pas à la petite tape qu’elle reçu sur les fesses mais son sourire se tranforma bien rapidement en grimace. Les hommes. Tous les mêmes. Elle avait quitté Philadelphie depuis le mois de Juillet. Le médecin qu’elle avait vu aux urgences n’avait cessé de la relancer pour qu’elle se fasse opérer, et elle n’avait trouvé d’autre moyens que de quitter la ville. Personne n’était au courant de ça, et personne ne le serait. C’était mieux ainsi. A quoi ça servirait de toute façon, qu’elle se fasse opérer ? La vie était une chienne. La vie ‘était une pute. Voilà ce que pensait la blondinette. Elle ne valait pas le coup d’être vécue, alors mieux vallait mourir vite… Qu’importe la douleur. « C’est bon Micah, tu peux partir, je ferais la fermeture. » La jeune femme hocha la tête et sourit légèrement. « Okay, merci. A demain alors. » Posant son plateau et son torchon, elle se rendit dans la petite salle de repos et attrapa son sac. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. 23h. Et enfin, elle avait fini sa journée de boulot. Travailler en tant que serveuse, ce n’était pas de tout repos. Elle quitta le Sutton’s bear et prit la direction de son appartement. Cela faisait quatre mois qu’elle était en ville, et elle commençait à connaître assez bien les rues. Ainsi, elle opta pour une petite ruelle… Clap clap clap. Ses talons claquaient contre le pavé. Frissonnant, elle accéléra le pas pour arriver plus rapidement chez elle.

Deux heures plus tard.

« Mademoiselle ? Oh mon dieu, mademoiselle, réveillez-vous ! » Faiblement, elle ouvrit les yeux. Elle avait mal partout et avait froid. Allongée à même le sol, elle tenta de se redresser mais grimaça. « Comment vous sentez-vous ? » demanda une voix féminine. « J’ai… J’ai mal… » Murmura-t-elle en tentant de relever la tête. « J’ai appelé le samu, ils arriveront bientôt… ». Micah secoua la tête. « Non, non, je veux pas aller à l’hôpital. » Soudainement prise de nausées et fut secouée en avant et vomi ses tripes. « Il le faut, vous venez de subir un... un... un choc. » Sa tête lui faisait mal et elle avait un sale goût de fer dans la bouche. Il faisait sombre, mais en observant un peu elle aperçut qu’elle était totalement nue et ses vêtements étaient éparpillés un peu plus loin. Son cœur se mit à battre la chamade et sa respiration s’accéléra. Par reflexe, elle se recroquevilla sur elle-même contre le mur et se passa la main sur le visage avant de s’apercevoir que cette dernière était toute ensanglantée. Son corps entier la faisait souffrir. Elle avait envie d’hurler, de crier, de dire à cette femme de s’en aller. Au loin, la sirène des secours retentissait. « Donnez moi mes vêtements… s’il… s’il vous plaît. » Sa voix fut brisée par un sanglot. Les larmes roulèrent sur ses joues. Fermant les yeux un instant, elle se souvint d’un coup de poing lui arrivant en pleine figure et d’une forte odeur d’alcool… Et puis de cris, les siens… Et puis, le trou noir.